Mort d'un athlète

Miklós Mészöly

Mort d'un athlète

Miklós Mészöly

Éditions du Seuil, 1965
Georges Kassai et Marcel Courault

"Toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus loin" c'est la devise qui domine l'existence du héros de ce roman, Bálint Őze, coureur hongrois de classe internationale. Un jour, on retrouve dans la montagne le corps de l'athlète, mort au cours d'un entraînement solitaire. Accident ou suicide ? Même sa compagne qui rassemble ses souvenirs pour faire un "portrait" du disparu ne le saura pas. Elle nous fera revivre l'adolescence de Bálint, l'étrange vie du "quintette à vélo" - une bande de quatre garçons et d'une fille, sportive fanatique, qui, par ses défis sexuels, provoquera la fin de cette amitié à la veille de la guerre -, l'entraînement de plus en plus intensif du héros qui s'en suit, et sa solitude grandissante, dans l'univers socialiste qui a fait de lui une figure mythologique. La recherche méthodique des éléments du passé et l’apparition spontanée de souvenirs selon une logique toute subjective détermine l'ordre en mosaïque des épisodes. Une architecture de symboles ? Plutôt une multitude de correspondances qui changent de parallèles, d'équations illogiques, de confrontations du passé et du présent, de tâtonnements. Avant tout un récit poétique savamment libre et impressionniste qui plonge dans une atmosphère de surprise et de naturel à la fois.

Né en 1921, à Szekszárd, petite ville du sud de la Hongrie, Miklós Mészöly pratique pendant de longues années l’athlétisme et le tennis. Il obtient sa licence de droit en pleine guerre. Mobilisé, il déserte l’armée, mais est bientôt repris et envoyé sur le front de Serbie, oú il est fait prisonnier. Rapatrié après 1945, il exerce, dans les années troubles de l’inflation, les métiers les plus divers, avant de devenir collaborateur de la Radio et de diverses revues littéraires hongroises. Ses essais et plus encore ses romans constituent la « chronique légendaire » de cette Europe des confins – paradoxalement dite « centrale » – sur laquelle l’histoire de notre siècle s’est si cruellement acharnée. Auteur d’une cinquantaine des livres, dont plusieurs ont été traduits en francais, il est à l’origine de nombreux liens nouveaux qui le relient aux générations suivantes de prosateurs hongrois. Il meurt en 2001.

Lorsque nous le découvrîmes à Vlediassa, il avait sur lui le chronomètre en émail bleu. C'est moi qui dus desserrer l'étreinte de ses doigts pour le prendre. Mes efforts, je m'en souviens, me firent transpirer. Et lorsque enfin la montre tomba de ses mains, je fus saisie d'une espèce d'horreur qui, pendant de longues minutes, m'empêcha d'ouvrir les yeux. Finalement, l'oncle Luka, l'homme de la cabane, me fit lever en me tirant d'une main, tout en mettant l'autre sous celle qui tenait l'étrange chronomètre au ventre polychrome, qu'il s'attendait à me voir lâcher. Mais je ne lâchai pas; je le regardai fixement en me disant que, lorsque Bálint avait trébuché, le bouton s'était sans doute déclenché, car les aiguilles étaient au zéro. De cette façon, nous ne pûmes même pas faire de conjectures sur la distance que Bálint avait parcourue en ces ultimes instants. Qu'il s'entraînât sur la cendrée ou dans la nature, Bálint ne manquait jamais de contrôler son temps. Et moi, je connaissais tellement bien ceux qu'il s'imposait pour chaque distance, que j'aurais pu déduire, des données du chronomètre, celle qu'il s'était fixée pour sa dernière course. Mais les aiguilles étaient au zéro. Cela s'était passé deux ou trois semaines à peine après notre retour de Prague. La compétition de Prague fut la dernière à laquelle il participa; ce fut d'ailleurs une demi-participation. En demi-finale, il avait « semé » ses adversaires avec son aisance coutumière, puis, contre toute attente, avait refusé de prendre le départ de la finale. En vain l'avions-nous supplié. On avait eu beau le menacer d'une sanction disciplinaire, rien n'y avait fait. Il avait décidé de ne pas céder et plus on insistait, plus il refusait avec une douce fermeté. Je connaissais cette attitude; elle signifiait que sa décision était irrévocable. Il se retira dans un coin écarté du vestiaire et suivit avec beaucoup d'attention les exercices gymniques auxquels se livrait l'un de nos jeunes sprinters.

Nous avons choisi ce livre parce que…

La question principale de l’œuvre à la fois balladistique et poétique de Mészöly est de savoir comment raconter et enregistrer l’histoire d’une vie humaine, ou une partie de celle-ci. Qui, depuis quelle position et avec quelles connaissances, peut nous dire ce qui nous arrive réellement. L'histoire est racontée par Hildi, la compagne de Bálint Őze (le personnage principal), qui est également la principale aide de l'athlète pour se déchiffrer et trouver sa paix intérieure. Puisque le narrateur est une femme et que le protagoniste est un homme, les questions fondamentales des relations homme-femme surgissent automatiquement : comportements ouverts et fermés, gestes cachés et révélations inattendues, différentes manières d'éprouver la compréhension et l'acceptation. Le roman commence avec la mort inattendue et tragique du champion en titre Bálint Őze, et le chemin qui mène à sa mort se déroule à partir des souvenirs de son épouse. Plus précisément, comment Hildi peut reconstituer ce qui s'est passé en elle-même afin de trouver une explication à la mort de son amour. En raison du travail d'exploration spirituelle, qui s'apparente à une enquête, le roman porte également les caractéristiques du genre policier, nous espérons obtenir une sorte d'explication claire à la fin du travail. Cependant, la principale leçon est que nous ne pouvons rien reconstruire exactement et, par conséquent, le raconter de manière authentique. Nous ne disposons d'aucune information précise sur la vie des individus - ni sur la narratrice Hildie -, sur les réseaux cachés reliant les petites communautés - comme le cercle d'amis d'enfance de l'athlète protagoniste -, sur les étranges vacillements des systèmes de relations familiales, ni sur l'histoire de Bálint. Ce chef d’œuvre nous enseigne la docte ignorance mais montre également les petits miracles de la vie et de l’amour.
(Traduction libre tirée de cet article par Attila Thimar