Le lanceur de javelot
Paolo Volponi
Le lanceur de javelot
Paolo Volponi
Flammarion, 1991
Jean-Marie Laclavetine
C’est le roman passionné d’un adolescent des années fascistes et la chronique d’une époque stérile qui a broyé dans ses mythes guerriers, avec une impudique brutalité, les mouvements éternels de l’initiation sexuelle et tribale. L’histoire familiale et sociale de Dami, le jeune lanceur de javelot, déchiré entre les élans de vie et les élans de mort, va droit au cœur comme une flèche de feu. D’une fièvre croissante, ce livre bouleverse comme la plus moderne des tragédies grecques. Le lanceur de javelot, de dard, de regard, dé désir, le lanceur de soi-même, on l’appelait en grec, d’un seul mot : ὁ ακοντιστής, o acontistès.
Écrivain, narrateur et poète, il est né en 1924 à Urbino, où il obtient son diplôme en droit en 1947. Il est ensuite embauché par l'entreprise Olivetti, où il occupe des postes de direction et mène des enquêtes dans le domaine social. En 1956, il est promu directeur des services sociaux d'Olivetti, poste qu'il occupera jusqu'en 1971. La "Passion morale et vocation politique" sont, pour Volponi, les caractéristiques saillantes d'une combinaison art-vie, et donc d'un choix littéraire, qui a su mettre en lumière les vérités, les contradictions et les problèmes du monde contemporain. Des amitiés importantes telles que celles avec Carlo Bo et Pier Paolo Pasolini favorisent un parcours de recherche expressive qui se développe et se rachète dans une volonté de dénonciation et de transformation de la réalité, dont l'usine est un lieu emblématique. Un exemple en est le protagoniste solitaire et névrotique de son premier roman "Memoriale" (1962), ou le tragique inventeur suicidaire du roman suivant "La macchina mondiale" (Prix Strega 1965). Avec "Il lanciatore di giavellotto" (1981), où le protagoniste est un jeune "lanceur de regards, de désirs, de lui-même", Paolo Volponi décide de s'attaquer directement à l'histoire des années tumultueuses trente. En 1983, il est élu au Sénat dans le collège d'Urbino : son engagement parlementaire ne prend fin qu'en 1993 pour des raisons de santé. Pendant ces années, partagé entre Milan, Rome et son village natal, il continue à écrire des poèmes publiés dans "Poesie e poemetti" (1980), "Con testo a fronte" (1986) et "Nel silenzio campale" (1990). En 1989, l'écrivain revient sur le thème du monde industriel avec le roman "Le mosche del Capitale", dédié à Adriano Olivetti ; en 1991, il publie enfin "La strada per Roma". Paolo Volponi décède à Ancona le 23 août 1994.
Dami alla prendre position, la tête plus inclinée que le javelot ; il mesura son élan, très long, augmentant progressivement le rythme de son souffle tandis que la hampe trouvait son équilibre dans son poing, et à vingt centimètres de la ligne ennemie il lança le javelot en projetant tout son corps, dans un effort tel qu’il en cracha de la bile. L’engin prit la bonne direction et fila dans l’air, pas trop haut au-dessus du terrain, longuement, jusqu’à disparaître à la vue, au fond, contre la ligne des grilles métalliques de l’enceinte. Au bout de la piste, de l’autre côté, il inclina sa pointe vers le bas et alla se planter à peu de distance de la terre rouge. Il fut accompagné, dans la dernière partie du trajet, par une clameur générale ; qui cessa brutalement quand le javelot siffla, tendu, avant de se planter. Alors, des applaudissements formidables éclatèrent. Dami était encore renversé dans son propre fiel, les yeux perdus au-delà du javelot de son défi. Il entendait confusément les applaudissements et regarda Marcacci ; il le vit qui exultait, bras en l’air. Le lancer avait été de quarante-huit mètres, distance limite même pour les seniors ; et tout à fait incroyable pour un junior, record régional et peut-être national. Marcacci le rejoignit et le serra contre lui. Dami restait tendu, mais après un moment il céda et enfonça son visage jusqu’au cou parmi les lanières et les bandes de cet habit. L’odeur de Marcacci était forte et rassurante. Dami l’accueillit en lui, conscient de ne pas éprouver la répulsion à laquelle il s’attendait.
Nous avons choisi ce livre parce que…
Il décrit l’instrumentalisation du sport à des fins politiques et le rapport ambigu entre sport et violence ; en particulier, la violence faite aux femmes.
Où trouver ce livre
A la bibliothèque de l'Institut Culturel Italien
Hôtel de Galliffet
50, rue de Varenne - 75007 PARIS