Des bruits dans la tête
Drago Jančar
Des bruits dans la tête
Drago Jančar
Libretto, 2015
Traduction : Andrée Luck-Gaye
Dans la prison de Maribor, en Slovénie, est incarcéré en cet été 1975 Keber, meneur historique de la célèbre révolte du pénitencier de Livada au Monténégro. Il se confie au narrateur avec force détails, soucieux de transcrire la chronique de ce soulèvement héroïque, déclenché lors de la transmission d'un match de basket. Pas n'importe quel match, c'est la grande finale du championnat mondial de basket qui, en 1970, opposa la Yougoslavie aux Etats Unis d'Amérique ! Autant dire que l'enjeu était inimaginable. L'équipe yougoslave a gagné, ce qui en ces temps de guerre froide donna lieu à une euphorie patriotique sans nom. Les supporters en délire scandaient : "La Lune est à vous, l'or est à nous !". Simplement, pour les prisonniers - qui avaient dûment négocié avec la direction le droit de regarder le match en direct dans la grande salle du pénitencier – grâce aux provocations d'un gardien, les choses ont mal tourné dès le début de la transmission. La mutinerie a duré des mois. Au point que Keber, qui a le sens de la légende, ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec le siège de Massada en Judée, au 1er siècle. Durant sept mois, un millier des Juifs tinrent tête à huit mille Romains qui les encerclaient dans la forteresse surplombant la Mer morte. Au terme de sept mois de siège, les Romains forcèrent l'enceinte de Massada et découvrirent le suicide collectif des rebelles juifs. A la prison de Livada, encerclée par les forces de l'ordre, la destruction, le pillage et le chaos cèdent peu à peu la place au calme et aux pourparlers entre les insurgés. Que faire ? Se rendre, négocier ou tenter de s'enfuir ? L'une des exigences surréelles des révoltés fut de voir le match dans les conditions initiales du direct, sans savoir qui a gagné ?! Pourquoi pas remonter le temps ! Jančar analyse en maître les rapports de force et la domination qui se réinstalle rapidement dans cette "démocratie" naissante…
Considéré comme le plus grand écrivain slovène actuellement, Drago Jančar naît en 1948 à Maribor, à l'époque en Yougoslavie. Fils d’un résistant et déporté pendant la Seconde Guerre mondiale, il continue son combat pour la liberté au sein du camp socialiste. Figure nationale de la dissidence, il est condamné en 1974 à un an de prison pour « propagande au service de l’ennemi ». Libéré au bout de trois mois, il garde pourtant de cette expérience de la prison la matière qui lui permettra d'écrire Des bruits dans la tête. Très souvent censuré du temps de l’ex-Yougoslavie, c’est la libéralisation progressive après la mort de Tito en 1980, qui lui offre l’espace de liberté nécessaire à l’épanouissement de son œuvre. Il voyage surtout aux États-Unis, en Allemagne et en France, signe plusieurs romans et pièce de théâtre, dont son plus grand succès, La Grande valse brillante, joué également en France. Toujours engagé en faveur de la liberté d'expression, ses essais portent souvent sur le manque de l'identité culturelle au sein de l'Union européenne. L'auteur slovène le plus traduit, ses romans, nouvelles et essais sont disponibles en plus de vingt langues.
Ecrivain multi-primé à l'international, Des bruits dans la tête a reçu à sa parution en France le Prix de l'Inaperçu. Les nouvelles rassemblées sous le titre Éthiopiques ont été récompensées par le Prix européen de Littérature de 2011 et son roman Cette nuit, je l’ai vue par le Prix du meilleur roman étranger 2014. Ses romans qui paraissent régulièrement aux éditions Phébus, permettent de découvrir cet auteur aux thématiques diverses, mais qui mettent toujours en scène un homme ou une femme aux prises avec les tourments de l'Histoire. Distingué par le Prix du Citoyen européen en 2015, Jančar est une grande voix de la conscience européenne.
Le tintement dans ma tête n'a cessé que lorsque j'ai foutu cette télévision contre la fenêtre. J'ai fait exploser dans les grilles l'appareil avec tous ses basketteurs et la foule qui hurlait dedans, alors le tintement a cessé et c'est comme ça que tout a commencé. C'est alors que ça a commencé, tous ceux qui étaient là peuvent le dire. Il n'y avait rien d'organisé, ça a commencé avec ce poste. Le petit mec à la matraque me l'avait éteint sous le nez. Le petit s'appelait Albert. (…) Il aimait entrer dans une cellule pour tabasser quelqu'un. (…) Le petit Albert avait une réputation de gros pourceau. C'est pourquoi ça a commencé.
Tout le jour, on avait parlementé pour qu'ils nous permettent de regarder la finale de basket en direct. L'équipe de Yougoslavie jouait contre les Américains, on voulait voir ça, même les prisonniers sont parfois patriotes.p. 24
Nous avons choisi ce livre parce que…
Comment la (non)transmission en direct d'un "match du siècle", auquel assiste toute la nation, déclenche un soulèvement dans un grand pénitencier d'un régime autoritaire et se métamorphose en lutte pour la liberté.