Belle infidèle
Romane Lafore
Belle infidèle
Romane Lafore
Stock, 2019
Belles infidèles : traductions libres, fleuries et souvent parcellaires des textes de l’Antiquité, qui privilégient l’élégance finale du français à la fidélité au texte d’origine.
Julien Sauvage est traducteur. Abonné aux guides de voyage et aux livres de cuisine, il rêve en vain d’écrire son propre roman : le récit sublimé d’un chagrin d’amour.Une façon pour lui d’en finir avec Laura, sa belle Franco-Italienne qui lui a piétiné le coeur. Mais contre toute attente, une éditrice parisienne le contacte pour traduire en urgence un roman encensé en Italie : Rebus, l’oeuvre d’un brillant trentenaire, Agostino Leonelli. Alors qu’il progresse dans la traduction, Julien retrouve la terre rouge des Pouilles, les figuiers de Barbarie, les jardins riches en plantes grasses avec la mer à l’horizon. Il plonge dans les années de plomb, que son vieux mentor Salvatore, libraire exilé à Paris, rechigne à évoquer. Il revoit Laura, sa lumière, son ventre constellé de grains de beauté. Il embrasse à nouveau la souplesse et les caprices de la langue italienne… Jusqu’à ce que le doute l’étreigne : l’histoire dont s’inspire Rebus pourrait-elle être aussi la sienne ?
Née en banlieue parisienne en 1988, Romane Lafore est éditrice et traductrice de l’italien. « Belle infidèle » est son premier roman.
Je suis convaincu que, depuis toujours, l'Italie et Laura vivaient en moi. Tous les étés, évitant soigneusement la dentelle de la côte italienne, mes parents nous traînaient dans des campings sur la Costa del Sol ou dans des auberges du Péloponnèse, mais l'Italie et Laura étaient là, attendant le moment propice pour m'inoculer leur venin. Le pendentif de Jessica, le décolleté de Salma Hayek... Combien me semblèrent faibles ces artifices, le jour où je rencontrai les cernes luisants de Laura. Combien me parut souple l'italien, une fois que j'appris à le glisser tout entier dans ma bouche comme un gros caramel mou, tantôt lourd et plein dans le fond de ma gorge, baignant mes amygdales de voyelles charnues que je n'avais plus peur de faire résonner depuis mes lèvres ouvertes jusqu'au fond de mes entrailles, tantôt taquin quand je le titillais du bout de la langue pour en faire tinter des «r» à peine frottés contre l'arrière de les incisives, retournant et lustrant sous ma langue autrefois gourde ce bonbon qui en fondant libérait son sucre entre les parois de mes joues et imposait à mon souffle une cadence faite de longues déglutitions et de pics de glycémie, m'obligeant, moi, le fils du silence, à épouser de ma voix le rythme d'une vague marine, suspendu dans les syllabes atones, guettant le moment où, de toute la force de mes poumons, j'allais la projeter dans le fracas d'un accent tonique. J'éprouve toujours un bonheur physique à dire le mot caffè.
Nous avons choisi ce livre parce que…
Romane Lafore se glisse dans la peau d'un homme et écrit un roman labyrinthique, un vrai hommage au difficile - et dangereux! - métier de traducteur.