Gaeilge, la langue des Irlandais

Découvrez l'histoire de la langue irlandaise, son renouveau et sa place dans la société irlandaise contemporaine.

Le Centre Culturel Irlandais met à l'honneur la langue irlandaise tout au long de l'année 2023. Cette introduction interactive vous guidera à travers l'histoire de cette langue, son renouveau et sa place dans la société irlandaise contemporaine. Des ressources complémentaires en ligne vous permettront d'approfondir les nombreux sujets abordés : cartes, films et chansons, articles, podcasts...

Céad míle fáilte! (Cent mille bienvenus)

  

Gaeilge, la langue des Irlandais

Ne pas apprendre l'irlandais, c'est perdre l'opportunité de comprendre ce que la vie dans ce pays a représenté et pourrait représenter dans un avenir meilleur.

Seamus Heaney

  

“Le gaélique irlandais, en tant que langue nationale, est la première langue officielle” affirme l’article 8 de la Constitution de la République d’Irlande. Plus de 80 ans plus tard, en 2022, il a été pleinement reconnu comme l'une des 24 langues officielles et de travail de l'Union européenne.

Ce statut contribue à ouvrir une nouvelle ère d'opportunités pour les locuteurs du gaélique et à susciter un intérêt croissant pour cette langue à l'échelle internationale. Elle connaît également une renaissance dans le domaine des arts et de la culture, avec des œuvres littéraires et cinématographiques régulièrement primées année après année.

  

Carrefour avec panneaux bilingues à Moll’s Gap, dans le comté de Kerry
© Gettyimages

Carte des Gaeltachtaí officielles
Carte des Gaeltachtaí officielles

© Wikimedia Commons

Le Gaeilge (connu en français sous le nom “d’irlandais”, ou parfois de “gaélique irlandais”) est une langue celtique parlée en Irlande depuis plus de 2000 ans, et qui fut la langue prédominante sur l'île jusqu'au 19esiècle. Aujourd'hui, c’est la langue principale de nombreuses communautés dans toute l'Irlande (et en particulier dans les régions appelées “Gaeltacht”) et au sein de la diaspora. Parmi les exemples bien connus de ces régions où l'irlandais est la langue principale de la population locale, on peut citer le Connemara, la péninsule de Dingle, les environs de Slieve League et les îles d'Aran, où il est utilisé dans la vie quotidienne pour le commerce et la vie sociale. L’irlandais est parlé dans les villages et à la campagne, dans les magasins et les restaurants, comme mode de communication ordinaire. Les défis auxquels ces communautés font face pour soutenir et transmettre la langue sont comparables au cas d'autres langues minoritaires au niveau international, telles que le breton, l'occitan ou le basque.

Par son statut officiel au sein de la République d’Irlande, le gaélique irlandais est présent au quotidien dans les médias , les documents officiels, la signalétique et les annonces sonores, ainsi que dans de nombreux autres aspects clés de la vie quotidienne. C’est aussi un des enseignements fondamentaux et obligatoires au sein des programmes scolaires en République d’Irlande. Bien que l’UNESCO classifie la langue irlandaise comme étant “en danger”, elle conserve une grande valeur culturelle dans le monde entier en raison de la richesse de son patrimoine. Largement valorisé dans la musique et les arts, l'irlandais a été porté sur la scène mondiale par des musiciens tels que Clannad , Altan, Enya, The Gloaming, et beaucoup d’autres. On retrouve également des échos de la langue chez les descendants des Irlandais à l'étranger, avec de nombreux noms de famille d'origine gaélique, notamment ceux commençant par "Mac/Mc", qui signifie "fils de" (comme Mac Mahon et McDonald) et "O" (comme O'Connor et O'Brien).

Carte des régions celtiques
Carte des régions celtiques

© Wikimedia Commons

Arbre généalogique des langues celtiques
Arbre généalogique des langues celtiques

© Wikimedia Commons

Manifestations les plus anciennes et exemples internationaux

Presque tous les noms de lieux en Irlande viennent de l'irlandais, car ils sont intrinsèquement liés au paysage , et même l'anglais vernaculaire a été fortement influencé par l'irlandais. De nombreux mots irlandais sont utilisés en Hiberno-English, ou anglais irlandais (terme qui désigne la variété d'anglais parlée en Irlande et influencée par la langue irlandaise) - ou même ailleurs dans le monde : uilleann pipes et bodhrán (instruments de musique), plámás (flatterie), raiméis (propos absurdes), sliotar (balle utilisée pour le hurling), craic (amusement, bavardage, nouvelles), síbín (bar clandestin), go leor (abondance), bean sí (fée), seamróg (trèfle), uisce beatha (whisky).

Les inscriptions gravées sur des pierres en alphabet Ogham sont les plus anciennes traces de l’irlandais archaïque. Bien que l'on sache qu’il existait déjà une forte culture de littérature orale auparavant, la promulgation du christianisme en Irlande à partir du milieu du 5e siècle a entraîné la propagation de l’usage de l'écriture au sein de la société. L'écriture s'est développée à la fois en latin et dans la langue locale, l'irlandais, dans les centres monastiques d'Irlande ainsi que dans les nombreux monastères fondés dans toute l'Europe par des moines irlandais.

Photo : Un exemple d’inscriptions Ogham. Une pierre d’Ogham de Dunloe à Beaufort, dans le comté de Kerry
© Wikimedia Commons

Des cultures en contact

La situation changeante de la langue irlandaise reflète les évolutions socio-politiques et économiques de l’île. Bien que l'arrivée de groupes tels que les Vikings et les Normands ait entraîné de profonds changements sociétaux en Irlande, ces populations ont fini par être assimilées, tant sur le plan culturel que linguistique. L'histoire longue et variée de l'influence internationale en Irlande, et réciproquement, peut être explorée par les mots d'emprunt, issus d'autres cultures :

     

Cependant, la conquête de l'Irlande par les Tudor aux 16eet 17e siècles instaure une mission coloniale en Irlande et adopte une position plus radicale en remplaçant la langue et les coutumes irlandaises par celles des Anglais. Le célèbre poète élisabéthain Edmund Spenser aurait dit : “Si le parlerest irlandais, le cœur doit l'être aussi” (“The Speech being Irish, the heart must needs be Irish”).

La reine Élisabeth Ière d'Angleterre s’intéressait à l’irlandais, comme en témoigne ce manuel pour débutant lui ayant appartenu, qui présente des phrases courantes en irlandais avec des traductions en latin et en anglais.
La reine Élisabeth Ière d'Angleterre s’intéressait à l’irlandais, comme en témoigne ce manuel pour débutant lui ayant appartenu, qui présente des phrases courantes en irlandais avec des traductions en latin et en anglais.

© Irish Script on Screen – Marsh’s Library, Dublin

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Une scène de banquet chez un chef irlandais, dans The Image of Irelande, with a Discoverie of Woodkarne 1581. 

© Wikimedia Commons

Les guerres menées contre le gouvernement anglais en Irlande conduisent à l'exil de nombreux nobles et militaires irlandais vers l'Europe tout au long du 17esiècle.
Écouter le podcast : The Plantation of Ulster and Flight of the Earls

La volonté d'échapper aux lois pénales anticatholiques introduites par le gouvernement anglais en Irlande conduit à la création de collèges irlandais sur le continent. Le collège Saint-Antoine de Louvain (fondé en 1607) installe même des presses d’imprimerie pour publier des livres en irlandais, notamment des ouvrages destinés à l’enseignement de la langue irlandaise. L'explosion de l'édition en irlandais et en latin dans ces collèges et communautés engendre alors un réseau dynamique de diffusion de la littérature irlandaise à travers l'Europe, par le biais de l'impression, de la copie et de la transmission de manuscrits.

De son côté, le Collège des Irlandais de Paris (site de l'actuel Centre Culturel Irlandais) possède une riche collection de textes en langue irlandaise hérités de ce réseau continental. Certains d’entre eux ont été numérisés, tels que le dictionnaire irlandais-anglais de John O’BrienFocalóir gaoidhilge sax-Bhéarla, imprimé à Paris en 1768, et une édition b ilingue de l’Iliade d’Homère avec une traduction en irlandais, imprimée en 1844

Annales des quatres maîtres, Partie II (de 1335 à 1608)
Annales des quatres maîtres, Partie II (de 1335 à 1608)

Les Annales des quatre maîtres est une œuvre importante de l'histoire irlandaise, copiée et transmise internationalement parmi les différents centres de savoir irlandais au 17esiècle.

© Irish Sript on Screen – Trinity College Library, Dublin

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Le dictionnaire de John O’Brien Irish-English dictionary Focaloir gaoidhilge sax-Bhéarla, imprimé à Paris en 1768
Le dictionnaire de John O’Brien Irish-English dictionary Focaloir gaoidhilge sax-Bhéarla, imprimé à Paris en 1768

En savoir plus sur l’histoire de ce dictionnaire 

© Centre Culturel Irlandais, Bibliothèque Patrimoniale

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La Bibliothèque Patrimoniale possède également deux exemplaires du Catechism, or Christian Doctrine by Way of Question and Answer (1742) d'Andrew Donlevy. Ce manuel bilingue a été imprimé en utilisant un caractère d’imprimerie particulier créé en 1732 pour le Dictionnaire anglais-irlandais de O'Begley. Les deux ouvrages sont les deux seuls à avoir été imprimés avec ce caractère.

Proportion de personnes interrogées ayant déclaré savoir parler irlandais lors des recensements de 2011 en République d'Irlande et en Irlande du Nord
Proportion de personnes interrogées ayant déclaré savoir parler irlandais lors des recensements de 2011 en République d'Irlande et en Irlande du Nord

© Wikimedia Commons

Renouveau et Romantisme

Le 19e siècle est marqué par un changement radical : l'anglais devient la langue la plus parlée dans la majeure partie de l'Irlande, à l'exception de certaines régions, principalement dans les zones rurales de l'ouest et du sud. L'introduction du système scolaire national en 1831, qui institue un programme scolaire excluant la langue, l'histoire et le patrimoine irlandais, a un impact considérable en associant la notion de progrès et d’opportunité au monolinguisme anglophone. Parallèlement, les famines dévastatrices qui frappent l'Irlande tout au long du siècle entraînent une baisse d'environ 25% de la population totale en raison d'une mortalité et d'une émigration généralisées, et frappent de manière disproportionnée les régions de langue irlandaise.

Cependant, des groupes dédiés à la préservation, à la revitalisation et à l'enseignement de l'irlandais commencent également à voir le jour dans toute l'île. Le groupe le plus important créé à cette époque est Conradh na Gaeilge (la Ligue Gaélique), fondée en 1893 par Eoin Mac Néill et Douglas Hyde, pour préserver et faire renaitre la langue irlandaise.

Affiche de la Ligue Gaélique, 1913
Affiche de la Ligue Gaélique, 1913

© National Library of Ireland

Lire un extrait du discours de Douglas Hyde "The Necessity for De-Anglicising Ireland" 

Dans le contexte de la lutte pour l'indépendance politique au début du 20e siècle, les tenants d'un certain projet politique sont également attirés par cette langue, qu'ils considèrent comme une manifestation claire d'indépendance à l'égard de l'Angleterre. Cela soulève des questions sur le symbolisme politique de la langue, qui marquent encore aujourd'hui les débats sur l'irlandais, l'identité et le nationalisme.

Fresque nationaliste sur Brighton Street à Belfast, promouvant l’Irish Language Act (loi sur la langue irlandaise).
Fresque nationaliste sur Brighton Street à Belfast, promouvant l’Irish Language Act (loi sur la langue irlandaise).

© University of Cambridge

Tír gan teanga, tír gan anam

(un pays sans langue est un pays sans âme)

Pádraig H. Pearse, célèbre pour ses écrits en irlandais et pour le rôle qu'il a joué dans le soulèvement indépendantiste de 1916, a été rédacteur pour An Claidheamh Soluis.
Pádraig H. Pearse, célèbre pour ses écrits en irlandais et pour le rôle qu'il a joué dans le soulèvement indépendantiste de 1916, a été rédacteur pour An Claidheamh Soluis.

© Wikimedia Commons

An Claidheamh Soluis, l’un des premiers grands périodiques à proposer des articles en irlandais.
An Claidheamh Soluis, l’un des premiers grands périodiques à proposer des articles en irlandais.

© Conradh na Gaeilge

Le tournant du 20e siècle est marqué par une véritable effervescence de la littérature en langue irlandaise, même si de nombreux écrivains estiment que la riche tradition orale du folklore des Gaeltachtaí ne suffit pas à elle seule pour fournir une base à une littérature nationale moderne. Des écrivains tels que Pearse, Peadar Ua Laoghaire et Pádraic Ó Conaire font partie des figures importantes de cette grande flambée de littérature en langue irlandaise, qui a cherché à établir une nouvelle littérature moderne capable de rivaliser avec le milieu littéraire européen contemporain.

Máirtín Ó Cadhain, (considéré comme “le James Joyce irlandophone”) publie en 1949 Cré na Cille (disponibles à la Médiathèque du Centre Culturel Irlandais), une œuvre moderniste majeure et innovante. De nombreuses traductions ainsi que des adaptations scéniques et filmiques en ont été tirées.

Des personnalités telles que Ó Cadhain, lui-même élevé au cœur de la communauté irlandophone, jouent un rôle essentiel dans l'activisme politique du "Gaeltacht Civil Rights Movement" (mouvement des droits civiques des Gaeltachts), qui débute en 1969. Inspiré par le mouvement des droits civiques aux États-Unis et par Mai 68 en France, ce mouvement se bat pour les droits sociaux, économiques et culturels des personnes parlant l'irlandais dans les régions de Gaeltacht. A la même époque, des efforts similaires sont déployés pour militer pour la défense des langues minoritaires dans le monde entier.

La National Folklore Collection recueille, préserve et diffuse la tradition orale irlandaise à travers des manuscrits, des photographies et de nombreux enregistrements audio et audiovisuels.

Photo : Dancing on the pier, Clogherhead (1935) © National Folklore Collection, UCD

L’irlandais revient au cœur de l’Europe

Où en est le gaélique irlandais aujourd’hui ? Si l’enseignement de l’irlandais s’est généralisé au lendemain de l’indépendance de l’Irlande, le nombre de ses locuteurs a continué à diminuer tout au long du siècle. Dans l'État nouvellement créé, nombreux étaient ceux qui perpétuaient les préjugés coloniaux associant l'irlandais à l'émigration, à la pauvreté et au sous-développement. Les efforts déployés pour faire revivre l'irlandais à l'échelle nationale par le seul biais du système scolaire, sans planification durable ni possibilités de suivi, ne rencontrèrent que peu de succès et de sympathie. L'amélioration de la situation économique de l'Irlande et son adhésion à l'Union européenne allaient changer la donne.

Avec le dépassement d’un mode de pensée post-colonial qui promeut tout ce qui est “irlandais” comme une alternative opposée à ce qui est “anglais”, et en reconnaissant l’identité irlandaise au sein d’un spectre large de diversités à travers l'UE, beaucoup ont commencé à voir la langue sous un nouveau jour. L'irlandais trouve des expressions diverses dans les centres urbains, parmi les jeunes générations avec le grand succès des écoles en langue irlandaise (Gaelscoileanna) dans tout le pays, ainsi que des possibilités d'apprendre la langue au cœur des communautés des Gaeltacht. Certains des écrivains et artistes irlandophones majeurs tels que Úna-Minh Kavanagh, Ola Majekodunmi et Alex Hijmans témoignent d'expériences diverses où la langue irlandaise trouve toute sa place dans la vie moderne. Débarrassés du poids des discours hérités des siècles de lutte pour l'expression de leur identité, les locuteurs et les apprenants de l'irlandais du monde entier construisent aujourd'hui de nouvelles relations dynamiques avec la langue.

Kíla, groupe à la renommée internationale, au Centre Culturel Irlandais en mars 2022
Kíla, groupe à la renommée internationale, au Centre Culturel Irlandais en mars 2022

Regardez les jouer Suas Síos on RTÉ One 

© Damien Boisson-Berçu

“An Cailín Ciúin” (The Quiet Girl)
“An Cailín Ciúin” (The Quiet Girl)

Réalisé par Colm Bairéad, est le premier film en langue irlandaise à avoir été nominé pour un Oscar du meilleur film international.

Regardez la bande annonce 

© Inscéal Production

Certains affirment que nous assistons actuellement à une renaissance de la langue irlandaise avec des groupes mondialement connus tels que Kíla, et de grands succès dans l'industrie cinématographique tels que An Cailín Ciúin, et bien d'autres exemples d’œuvres artistiques en langue irlandaise sur la scène mondiale. En tant que locuteurs d’une langue minoritaire face à la mondialisation, nous voyons les irlandophones s'adapter pour créer des communautés numériques et physiques dans le monde entier, en utilisant toutes les ressources et la créativité disponibles pour rapprocher les gens grâce à la langue.

Go mbeirimid beo ar an am seo arís! (Puissions-nous vivre pour revoir cette époque)

Direction scientifique : William Howard, professeur de gaélique irlandais au Centre Culturel Irlandais

Avec le soutien de Maynooth University et Lárionad na Gaeilge


La Médiathèque propose une large variété de ressources pour apprendre, lire ou écouter l’irlandais : la collection est ouverte à tous en accès libre et gratuit (du lundi au vendredi : de 14h à 18h, jusqu'à 20h le mercredi).