Livres contre livres

Religion, Imprimerie et Controverses pendant la réforme protestante

Livres contre livres

Religion, Imprimerie et Controverses pendant la réforme protestante

L'excellent art de l'imprimerie, découvert récemment pour le plus grand bonheur de tous et désormais couramment pratiqué partout dans l'intérêt de l'Eglise du Christ, [est] une offrande providentielle de Dieu à la cause de la Réforme.

John Foxe, Actes and monuments of these latter and perilous days touching matters of the Church (Londres, 1563)

Portrait de John Foxe
Portrait de John Foxe

Martin Droeshout the Younger

(Wikimedia Commons - domaine public)

Battle of the books
Battle of the books

Gravure sur bois illustrant la satire de Jonathan Swift

(Wikipedia-domaine public)

L'écrivain protestant anglais John Foxe (1516/17-1587) écrivit ces mots pendant une guerre... une guerre idéologique violente, menée avec autant d'acharnement que la Guerre Froide au 20ème siècle. Mais au 16ème siècle, c'était la religion, plutôt que les questions économiques, qui divisait l'Europe entre les blocs catholique et protestant. La bataille entre catholiques et protestants fut menée sur le plan physique, mais aussi intellectuel.

Les mots de Foxe soulignent le pouvoir de l'écrit, et montrent combien l'imprimerie naissante représentait déjà une arme de taille pour convertir en masse sur le terrain de la religion. Des milliers de livres et des millions de mots furent couchés sur le papier et imprimés, arguant des mérites de chaque courant à travers les décennies et les siècles.

La Bibliothèque Patrimoniale du Centre Culturel Irlandais a la chance d'être dotée d'un héritage rare, composé d'un grand nombre de ces ouvrages majeurs. Certains des trésors les plus précieux et des livres les plus influents de l'Histoire européenne sont présentés dans cette exposition.

Nature morte aux livres
Nature morte aux livres

Par Jan Davidszoon de Heem
1628

© Fondation Custodia, Frits Lugt Collection, Paris

Le pouvoir de l'écrit

La Bible de Gutenberg
La Bible de Gutenberg

La Bible de Gutenberg, également appelée B42 en raison des 42 lignes qui composent chaque page, fut le premier livre imprimé avec un tirage d’environ 180 exemplaires. Le choix de l’éditeur se porta sur La Bible pour des raisons économiques : elle était de fait susceptible d’intéresser le plus grand nombre, assurant ainsi un retour sur investissement rapide. 

(Wikimedia commons-domaine public)

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L'invention des caractères mobiles en plomb par Johannes Gutenberg (v.1397/1400-1468), vers 1450 en Allemagne, transforma la diffusion du savoir, générant une révolution culturelle sans précédent. Très vite, la plupart des pays européens s'en emparèrent et dès la fin du XVe siècle plus de 25 000 titres avaient déjà été imprimés, soit l'équivalent de plusieurs millions d'exemplaires. Les livres permirent d'avancer des arguments et de persuader le peuple de les accepter, en les propageant largement. Un auteur pouvait ainsi débattre simultanément avec de nombreuses personnes. Pour prendre part à ces débats, le seul moyen efficace fut d'écrire et de publier à son tour son propre livre. Foxe écrivit dans les années 1560, à une époque où l'imprimerie était une technique relativement nouvelle mais déjà reconnue comme une innovation extrêmement puissante dans les sociétés européennes. Les écrivains et érudits tels que lui furent conscients de la facilité à diffuser leurs idées et leurs écrits par ce biais et ils furent déterminés à défendre leurs arguments avec véhémence et force de persuasion.

L'imprimerie joua donc un rôle de premier plan dans ce processus et nous transmit nombre des ouvrages conservés aujourd'hui au sein de la Bibliothèque Patrimoniale. Elle rendit possible une « guerre des mots », dont le riche héritage orne nos rayons. Parmi les collections de la Bibliothèque Patrimoniale du Centre Culturel Irlandais nous retrouvons de nombreux ouvrages majeurs retraçant une lutte intellectuelle intense, un conflit à la conquête des cœurs, des esprits et surtout des âmes, pendant la Réforme et dans son sillage. Du début du 16ème siècle et jusqu'à la fin du 17ème, les conflits, physiques et rhétoriques, étaient très violents. A partir du 18ème siècle, il était de l'avis général que la scission serait définitive mais des tensions bien ancrées, des discordes marquées et des controverses sporadiques subsistèrent longtemps après.

Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers
Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers

Dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et D’Alembert (1751-1772), l’article sur l’imprimerie est illustré d’une gravure très détaillée présentant l’intérieur d’un atelier de presse (planche XIV du volume VI des planches) 

(Wikimedia commons-domaine public)

La réforme

Objet de débats passionnés et étroitement liée à la politique et à l'économie, la religion apporta sens, morale et éthique à la grande majorité des Européens. Pour certains esprits extrémistes, elle légitimait et justifiait le meurtre et le massacre au nom du salut. La question principale soulevée par le moine allemand Martin Luther en 1517 fut de savoir s'il fallait réformer fondamentalement l'Église catholique et si oui, comment. Inattendue pour les uns, impensable pour les autres, la « réforme » de l'Église catholique rencontra surtout beaucoup d'hostilité. Mais elle était pour les pairs de Luther et de Jean Calvin nécessaire, évidente et urgente. Très vite, ils « protestèrent » de leurs ambitions face à un large public et leurs partisans furent nommés les « protestants ». Il aurait pu s'agir d'une controverse aux répercussions plutôt modérées, mais cette révolution religieuse apporta en fin de compte bien plus de changements que quiconque aurait pu le prévoir. Cette révolution porte le nom de Réforme protestante. De cette mutation longue et violente émergea une Europe divisée entre protestants et catholiques.

Portrait de Luther
Portrait de Luther

Par Lucas Cranach l’Ancien
1529
Museo Poldi Pezzoli, Milan

(Wikimedia commons-domaine public)

La division entre catholiques et protestants
La division entre catholiques et protestants

Gravure allemande de 1591. La Bible sur la balance penche nettement en faveur des protestants

Lutheri cathechismus
Lutheri cathechismus

Martin Luther
Marbourg, 1529

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Martin Luther (1483-1546) fut ordonné prêtre catholique en 1507, enseigna la théologie à l'université allemande de Wittemberg à partir de 1512 puis fonda le mouvement de la Réforme protestante en 1517. Ses 95 thèses (ou « objections »), appelant à la réforme au sein de l'Église catholique, firent éclater 700 ans d'unité chrétienne et engendrèrent un soulèvement social et politique à travers l'Europe. L'invention récente de l'imprimerie donna un impact sans précédent aux arguments de Luther. Ses « protestations » se répandirent rapidement sous forme écrite et conquirent des dizaines de milliers de partisans, d'abord en Allemagne puis en Europe.

Luther développa progressivement ses idées de réforme de la chrétienté : il les étoffa, les édita et les révisa, ce qui donna lieu à de multiples publications pendant des années. Ses adeptes ne surent plus que croire.

Finalement, Luther détailla sa propre interprétation de ce en quoi un chrétien devait croire dans Le Grand Catéchisme ou Lutheri cathechismus. Il définit les prières auxquelles les protestants devraient s'adonner, les services à suivre et la manière dont les pasteurs et les professeurs devraient transmettre ces idées à leurs congrégations. Publié à Marbourg en 1529, Le Grand Catéchisme est l'un des ouvrages les plus importants de l'Histoire européenne.

The Institutes of the Christian Religion
The Institutes of the Christian Religion

Jean Calvin
Londres, 1574 ?

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Jean Calvin âgé de cinquante-trois ans
Jean Calvin âgé de cinquante-trois ans

Gravure de René Boyvin
1562
Bibliothèque de Genève

(wikimedia commons-domaine public)

La Réforme protestante de Martin Luther prit un tour révolutionnaire après 1517 et eut de profondes répercussions sur la vie de millions d'Européens. Néanmoins, pour certains chrétiens, les changements amorcés par Luther étaient trop timides. Le Français Jean Calvin (1509-1564) était l'un d'entre eux ; il croyait ardemment que la Réforme pouvait et devait aller bien plus loin.
Né en Picardie, il suivit une formation d'avocat à Orléans mais s'intéressait davantage à la théologie. En 1533, il assista à un discours au Collège de France, à Paris, appelant à la réforme de l'Église catholique. Lorsque cette conférence fut condamnée pour hérésie, Calvin, compromis, dut fuir Paris puis quitter la France.
À Genève, ville déjà sous l'influence de la Réforme protestante, il entreprit une réflexion sur ses propres principes et croyances. Rejetant les pensées luthériennes, qu'il considérait comme trop timides face aux exigences d'une Église réellement réformée, il développa sa propre conception du protestantisme. Il expliqua ses théories dans L'Institution de la religion chrétienne, publiée en 1536. Il ouvrit la voie à l'instauration d'églises protestantes en Suisse, en France, aux Pays-Bas, en Écosse et dans certaines régions d'Allemagne. Aujourd'hui encore, des églises protestantes fondées sur l'œuvre maîtresse de Calvin existent à travers le monde.

Henri VIII et la Réforme protestante

Portrait d'Henri VIII
Portrait d'Henri VIII

Par Hans Holbein le Jeune
1536
National Portrait Gallery, Londres

(Creative commons)

Martin Luther et Jean Calvin sont deux des plus grandes personnalités associées à la Réforme protestante en Europe continentale. Mais sur les îles au large de la côte nord-ouest de l'Europe, en Irlande, en Angleterre (et même en Écosse), d'autres figures émergèrent, que ce soit pour perpétuer l'héritage de Luther et de Calvin ou pour s'y opposer. Ainsi, après s'être opposé à la Réforme, le Roi Henri VIII, désireux de divorcer afin de se remarier et de s'assurer une descendance mâle, entreprit son propre mouvement de Réforme.
Vers 1535, le Roi Henri nomma ministres ceux qui approuvaient son divorce et lorsque l'Église catholique lui refusa le remariage qu'il convoitait tant, il s'autoproclama chef de l'Église protestante dans ses Royaumes. L'archevêque Thomas Cranmer fut l'un des soutiens principaux du Roi tandis que l'évêque John Fisher fut un opposant virulent. Tous deux étaient des écrivains accomplis et influents... et tous deux trouvèrent la mort en défendant leurs croyances.

Assertionis Lutheranae confutation
Assertionis Lutheranae confutation

John Fisher
Londres, 1523

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Les écrits de Martin Luther, qui mettent en avant les abus de l'Église catholique et plaident en faveur d'une réforme, ne tardèrent pas à susciter des réactions. La défense des croyances traditionnelles fut essentiellement assurée par l'Angleterre, à l'époque l'un des bastions les plus solides et les plus sûrs du catholicisme en Europe.
Le Roi Henri VIII, pieux catholique, condamna les « hérésies » de Luther dans An Assertion of the Seven Sacraments ou Assertio Septem Sacramentorum (Londres, 1521). En octobre 1521, cet ouvrage fut présenté au pape Léon X, qui récompensa la loyauté du Roi en lui attribuant le titre de « Défenseur de la foi », titre toujours présent sur les pièces de monnaie anglaises sous sa version latine Fidei defensor.
L'évêque John Fisher (1469-1535), ancien tuteur d'Henri VIII et théologien le plus en vue d'Angleterre, marqua son désaccord avec les arguments de Luther dans un long et savant ouvrage, Assertionis Lutheranae confutation. Publié à Londres en 1523, cet ou vrage s'opposait de manière détaillée aux principes luthériens, avec force et conviction. Grâce à cette publication, Fisher devint très vite la force d'opposition la plus populaire et efficace face au protestantisme qui se développait depuis peu. Assertionis Lutheranae confutation connut une large distribution et fut réimprimé plusieurs fois.


The book of common prayers and administration of the sacraments…
The book of common prayers and administration of the sacraments…

Thomas Cranmer
Londres, 1678

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Thomas Cranmer (1489-1556), archevêque de Canterbury, est connu pour avoir été l'un des artisans de la Réforme protestante et pour avoir été condamné au bûcher lors du changement de religion officielle.
Cranmer fut propulsé sur le devant de la scène lorsque le Roi Henri VIII voulut divorcer de Catherine d'Aragon, pour épouser Anne Boleyn. Le jeune théologien prit le parti du Roi. Cranmer avait des sympathies pour les réformateurs européens comme Luther et Calvin et lors d'un voyage en Allemagne en tant qu'Ambassadeur du Roi, il rencontra et épousa la fille d'un théologien protestant, un acte impensable pour l'archevêque de Canterbury et chef de l'Église catholique d'Angleterre qu'il était. Ce mariage fut frappé du sceau du secret pendant de nombreuses années.
Lorsque le Roi renonça officiellement à l'autorité du Pape et s'autoproclama chef de l'Église anglicane, Cranmer lui apporta son soutien, contrairement à l'évêque John Fisher. Alors que Fisher fut exécuté en 1535, Cranmer prospéra encore deux décennies. Il s'attela à la réforme des rituels et des textes sacrés à suivre lors des cérémonies, qui se concrétisa en 1549 sous la forme du Book of common prayers and administration of the sacraments. Le Livre de la prière commune est incontestablement le plus grand héritage de Cranmer. Il devint le livre de prière officiel de l'Église protestante d'Angleterre et d'Églises similaires dans le monde.
Cranmer se trouvait cependant dans la ligne de mire de la Reine Marie Ire lorsque celle-ci accéda au trône en 1553. Catholique convaincue, elle restaura les pratiques catholiques traditionnelles en Angleterre. Cranmer perdit très vite les faveurs de la cour malgré ses tentatives pour s'y conformer et fut finalement condamné au bûcher pour hérésie en 1556.

Les écrits protestants…

L'Angleterre, l'Irlande et l'Écosse devinrent le champ de bataille des idéologies. L'époque était aux mutations religieuses. Au début du 17ème siècle, dans une grande partie des Trois Royaumes, le catholicisme s'inclinait lentement face au succès et à l'expansion de la Réforme protestante, cautionnée et défendue par des auteurs tels que John Foxe, ce qui ne marqua pas pour autant sa disparition de ces terres.

Monarque catholique, Marie Ire était bien décidée à éradiquer toute trace de la Réforme protestante en ses royaumes lors de son couronnement en 1553. Pour la nouvelle Reine, le retour du catholicisme était une question religieuse et politique, mais aussi personnelle : c'est en effet le divorce de son père Henri VIII et de sa mère, la Reine Catherine d'Aragon, qui avait déclenché la Réforme en Angleterre. Les actes de son père et de ses ministres l'avaient en outre frappée d'illégitimité. Ainsi, lorsqu'elle accéda au trône, elle était déterminée à abroger toutes les réformes instaurées par son père et son frère depuis 1533 et procéda à des purges au sein de l'Église et de l'État, écartant toute personne dont la vision de la religion n'était pas absolument conforme à celle d'une Angleterre catholique nouvelle et ressuscitée. Avec, à ses côtés, son conseiller le cardinal Reginald Pole, elle ordonna la réorganisation des principales institutions du pays afin de défendre et valoriser la nouvelle politique. Pour cela, elle commença par remplacer le Livre de la prière commune de Thomas Cranmer par les textes catholiques traditionnels.

Portrait de la reine Marie Ire (Marie Tudor)
Portrait de la reine Marie Ire (Marie Tudor)

Par John Master
1544
National Portrait Gallery, Londres

(Creative commons)

Reginald Pole
Reginald Pole

Artiste inconnu
Après 1556
National Portrait Gallery, Londres

(Creative commons)

Actes and monuments of these latter and perilous days touching matters of the Church
Actes and monuments of these latter and perilous days touching matters of the Church

John Foxe
Londres, 1570

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Les protestants qui refusèrent de se convertir ou de se conformer au catholicisme furent arrêtés et accusés d'hérésie. Plus de 200 d'entre eux furent jugés coupables et condamnés au bûcher, tandis qu'environ 800 autres s'exilèrent sur le continent. Parmi eux, John Foxe (1516/17-1587), protestant radical, quitta l'Angleterre en 1554. Il travailla comme imprimeur et auteur à Strasbourg, Francfort et Bâle. Très proche des protestants anglais en exil, il fut profondément influencé par les idées et les œuvres des réformateurs protestants.
Après le décès de Marie Ire et l'accession au trône d'Elisabeth, sa sœur protestante, John Foxe retourna en Angleterre en 1559.
1563 marque la publication de la première édition des Actes and monuments of these latter and perilous days touching matters of the Church. Se basant sur des sources orales et des archives, cet ouvrage (orné d'illustrations dans ses éditions les plus tardives) rapporte les histoires terribles et funestes des personnes exécutées sous le règne de Marie Ire, ce qui lui valut d'être communément appelé : « Le Livre des Martyrs de Foxe ».
L'écrivain anglais catholique Nicholas Harpsfield s'érigea contre les arguments de Foxe dans ses Dialogi sex contra summi pontificatus, monasticae vitae, sanctorum, sacrarum imaginum appugnatores et pseudomartyres (Paris, 1566), mais sans grand résultat. Les Actes et monuments connurent un succès financier retentissant et façonnèrent profondément, pour les Anglais, leur perception du catholicisme. L'ouvrage de Foxe ancra définitivement le surnom de « Marie la Sanglante » dans la mémoire et l'esprit des Anglais. Il donna également le ton des violences et carnages religieux qui éclatèrent dans les deux siècles qui suivirent.


An answer to a challenge made by a Jesuite in Ireland
An answer to a challenge made by a Jesuite in Ireland

James Ussher
Londres, 1625

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James Ussher
James Ussher

D'après Sir Peter Lely, vers 1654
National Portrait Gallery, Londres

(Creative commons)

James Ussher (1581-1656), cousin d'Henry Fitzsimons, devint une figure de proue de l'Église d'Irlande, église officielle protestante d'Irlande. Bien que le protestantisme y soit la religion officielle, l'Irlande resta principalement catholique, contrairement à l'Angleterre et à l'Écosse.
En 1619, Ussher fut reçu par le Roi Jacques Ier (d'Angleterre, d'Irlande et d'Écosse) et fit forte impression. Rapidement promu, il fut l'une des principales personnalités à défendre le protestantisme comme la forme juste du christianisme. L'œuvre d'Ussher, An answer to a challenge made by a Jesuite in Ireland, brillamment argumentée et rédigée, répondait aux précédents travaux du jésuite irlandais William Malone.
Plus que la controverse en elle-même, cet ouvrage fit d'Ussher l'un des écrivains protestants les plus influents et les plus connus en Europe.

… face aux écrits catholiques.

Portrait d’Elisabeth Ire
Portrait d’Elisabeth Ire

Artiste inconnu
Vers 1588
National Portrait Gallery, Londres

(Creative commons)

Des catholiques exilés d'Angleterre, d'Irlande et d'Écosse fondèrent des collèges en France (et notamment à Paris), en Espagne et dans d'autres pays européens. Ils œuvrèrent pour convaincre et reconquérir les cœurs et les esprits dans les Trois Royaumes. William Allen, Robert Persons, Henry Fitzsimons et bien d'autres érudits émérites entamèrent un travail de longue haleine pour instaurer une version nouvelle de l'Église catholique dans ces trois pays. Cette initiative se heurta à bien des oppositions. Elle rencontra une résistance acharnée de la part des écrivains protestants, aussi fermement convaincus de la justesse de leur foi que leurs homologues catholiques.

Allen quitta l'Angleterre en 1565, peu après l'accession au trône d'Élisabeth Ire, protestante convaincue. Il passa le reste de sa vie en exil, tentant de ressusciter le catholicisme en Angleterre. Il est principalement connu pour avoir fondé le Collège anglais de Douai en 1568, l'un des premiers séminaires dédiés à l'instruction des prêtres catholiques. Suivirent bientôt des Collèges irlandais et écossais.

An apologie and true declaration of the institution and endeavours of the two English colleges - un deuxième Collège anglais avait en effet ouvert à Rome en 1579 - fit connaître au plus grand nombre les idées d'Allen et ses espoirs pour ces établissements. Bien d'autres Collèges anglais, irlandais et écossais furent fondés en Espagne, en Italie, au Portugal et en France, notamment le Collège des Irlandais à Paris. Allen fut nommé cardinal catholique en 1587 mais ne retourna jamais en Angleterre.

An apologie and true declaration of the institution and endeavours of the two English colleges
An apologie and true declaration of the institution and endeavours of the two English colleges

William Allen
Reims, 1581

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William Allen
William Allen

Gravure par Edme de Boulonois, 1682
National Portrait Gallery, Londres

(Creative commons)


Robert Persons (1546-1610) apporta son assistance à son compatriote William Allen dans nombre de ses entreprises, mais il était, avant tout, écrivain. Grâce à son style littéraire flamboyant, son First book of the Christian exercise appertayning to resolution, publié à Rouen en 1582, rencontra un succès immédiat. Il fut réimprimé sous le titre de A Christian Directory guiding men to their Salvation (Rouen, 1585) puis de The Christian Directory guiding men to eternal salvation, divided into three books (St-Omer, 1607). Ce guide spirituel menant au salut devint l'une des œuvres de dévotion les plus influentes, même dans des pays à dominante protestante.

The first book of the Christian exercise appertayning to resolution
The first book of the Christian exercise appertayning to resolution

Robert Persons
Rouen, 1584

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Robert Persons
Robert Persons

(Wikimedia commons-domaine public)


Douai-Rheims Bible
Douai-Rheims Bible

L'Église catholique tient pour sacrée la Bible en latin. Selon le pape Paul V (1552-1621), « trop lire les Écritures nuit à la religion catholique ». La Réforme protestante semblait lui donner raison mais souleva une question de taille. Comment des missionnaires éduqués dans des collèges comme ceux de Douai et Paris pouvaient-ils accomplir leur mission de conversion en Angleterre, Irlande et Écosse sans une Bible en anglais ?
Les protestants disposaient, eux, du Livre de la prière de Cranmer et de L'Institution de la religion chrétienne de Calvin, tous deux rédigés en anglais. Une traduction selon le dogme catholique était donc nécessaire. Le cardinal William Allen émit des doutes mais en comprenait la nécessité : « ...il serait peut-être préférable que les Saintes Écritures ne soient jamais traduites dans la langue vernaculaire, néanmoins, puisque de nos jours, à cause de la propagation d'opinions hérétiques ou pour une autre raison, même les hommes de bonne volonté sont enclins à se montrer curieux... il est plus satisfaisant d'avoir une traduction catholique fidèle que d'exposer leur âme au danger avec une traduction corrompue. »
Sous la supervision d'Allen, une Bible catholique fut publiée en anglais à Reims et à Douai entre 1582 et 1609/1610. Le volume présenté ici est l'édition originale, imprimée en 1609. Ce volume faisait partie, à l'origine, de la collection du Collège anglais St-Grégoire à Paris.


A Catholike confutation of Mr John Rider's claim to antiquity, and a calming comfort against his caveat …
A Catholike confutation of Mr John Rider's claim to antiquity, and a calming comfort against his caveat …

Henry Fitzsimons
Rouen, 1608

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Henry Fitzsimons (1566-1643) devint protestant à l'âge de 10 ans. Né en Irlande, il fit ses études en Angleterre et à l'Université de Paris, où il fut converti au catholicisme et ordonné prêtre jésuite en 1587. Il rentra en Irlande en 1597, célébra ouvertement des offices catholiques et mit des ecclésiastiques protestants au défi de débattre avec lui. Son cousin protestant, James Ussher (1581-1656), se porta volontaire mais le principal adversaire de Fitzsimons était John Ryder (1562-1632), doyen protestant de la Cathédrale St-Patrick de Dublin.

Fitzsimons fut arrêté en 1599 pour être devenu prêtre catholique : un délit de traîtrise. Emprisonné dans le Château de Dublin, il continua ses discussions avec Ryder, qui publia leurs débats dans un recueil intitulé A Friendly Caveat to Irelands Catholickes (Dublin, 1602). Fitzsimons s'indigna à la lecture de ce texte. Expulsé d'Irlande en 1604, il publia sa réponse : A Catholike confutation of Mr John Rider's claim to antiquity, and a calming comfort against his caveat … and a reply to Mr Rider's rescript

Henry Fitzsimons mourut en Irlande en 1643.

Conclusion

Sure footing in christianity, or rational discourses on the rule of faith...
Sure footing in christianity, or rational discourses on the rule of faith...

John Sergeant
Londres, 1665

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A partir du 18ème siècle, le schisme entre catholiques et protestants fut considéré comme un fait. Cependant, tous continuèrent de défendre la justesse de leur courant. Les tensions religieuses en Angleterre, en Irlande et en Écosse s'apaisèrent quelque peu au 18ème siècle mais restèrent vives, tandis que les ouvrages débattant encore avec virulence et alimentant les controverses religieuses continuèrent d'être publiés et lus. Le catholicisme y était officiellement illégal, ce qui entraîna la fondation d'institutions en exil telles que le Collège des Irlandais de Paris et le Collège anglais St-Grégoire avoisinant (aujourd'hui démoli). De taille plus modeste que le Collège des Irlandais, St-Grégoire était une maison d'écrivains depuis laquelle des érudits catholiques anglais comme John Sergeant (1623-1707) entrèrent dans une guerre des mots avec leurs homologues protestants à Oxford et Cambridge.

Leur collection d'ouvrages, impressionnante par sa richesse, joua un rôle central à cette époque. Une grande partie de cette collection a été transférée au Collège des Irlandais et beaucoup des livres de la Bibliothèque patrimoniale sont des ouvrages que Sergeant et ses pairs consultèrent pour préparer leurs ripostes au cours de ce combat de longue haleine.

Lorsque la Révolution française éclata en 1789, nombre de ses partisans se mirent à nourrir des suspicions vis-à-vis des collèges irlandais, écossais et anglais en raison de leur rôle religieux, leurs liens avec l'« étranger » et leurs accointances avec la Couronne de France.
Ironie de l'Histoire, les personnes qui fuirent les conflits religieux qui agitaient l'Angleterre, l'Irlande et l'Écosse, retournèrent ensuite en nombre dans leur patrie, où les passions s'étaient atténuées et où la tolérance religieuse allait devenir loi. La fin de l'Ancien Régime mit le point final à la guerre des mots, « livres contre livres ». L'Europe, dans les siècles qui suivirent la Révolution, trouva de nouvelles batailles à mener et de nouveaux conflits émergèrent. Le Collège des Irlandais survécut à une période de fermeture pour rouvrir ses portes rue des Irlandais, ainsi baptisée par un décret de Napoléon en 1807. Les relations proches et cordiales entre le Centre Culturel Irlandais et l'État français, comme celles entre la France et l'Irlande, sont toujours d'actualité.

Vous voulez des armes ? Ici, c'est une bibliothèque et les livres sont nos plus grandes armes. Cette pièce est le meilleur arsenal qui existe. Alors, armez-vous !

Russell T. Davies, producteur et écrivain, BBC, 2006

La Bibliothèque du Centre Culturel Irlandais aujourd'hui
La Bibliothèque du Centre Culturel Irlandais aujourd'hui

© Ros Kavanagh

Responsabilité scientifique : Tom Byrne
Maître de conférences en histoire à la National University of Ireland, Maynooth
Boursier du Centre Culturel Irlandais


Pour aller plus loin...

Henri VIII, roi hérétique ? (source : La Fabrique de l'Histoire, France Culture)