De l'art d'être vertueux

L'enjeu du comportement en Europe sous l'Ancien Régime

De l'art d'être vertueux

L'enjeu du comportement en Europe sous l'Ancien Régime

La vie d’un Courtisan doit être une continuelle étude de souplesse d’esprit.

Joachim de La Chétardie, Instructions pour un jeune seigneur (Paris, 1682)

Détail de la page de titre de L’Ame intérieure, ou conduite spirituelle dans les voies de Dieu
Détail de la page de titre de L’Ame intérieure, ou conduite spirituelle dans les voies de Dieu

Barthélémy Baudrand, Lyon, 1787

Les manuels de savoir-vivre, d’étiquette et de spiritualité faisaient partie des lectures les plus prisées du public sous l’Ancien Régime (XVIème - XVIIIème siècles). Cette exposition présente une sélection de manuels de savoir-vivre et de spiritualité appartenant à la Bibliothèque patrimoniale du Centre Culturel Irlandais dans le but d’explorer les thèmes de la civilité, de la spiritualité, du bonheur et les discours relatifs à la vie intérieure et à la vie sociale. Comment se comporter était une question sérieuse ; que l’on appartienne à l’élite ou au bas peuple, progresser ici-bas ou obtenir le salut dans l’au-delà étaient des sujets de préoccupation capitaux.

Portrait de Torquato Tasso
Portrait de Torquato Tasso

Anonyme italien, vers 1590
Galleria Palatina, Florence

(Creative commons)

Les manuels de savoir-vivre et de spiritualité

Puisant dans la tradition du roman de chevalerie qui les précédait, Machiavel, Castiglione et Érasme donnèrent un second souffle au genre en faisant feu des mécanismes toujours plus intriqués de la cour, de l’instabilité politique ambiante et de l’augmentation incessante du nombre de lecteurs instruits, ambitieux, faisant preuve de mobilité sociale et géographique. Le Prince de Machiavel (1513), Le livre du courtisan de Castiglione (1528), La civilité puérile d’Érasme (1530) abordaient tous divers aspects de la vie à la cour, et en particulier les manières d’y survivre et d’y prospérer. En dehors de ces noms bien connus, une pléiade d’auteurs, dont bon nombre étaient italiens, y allaient de leurs avis et sages conseils.

Au XVIIème siècle, le français s’imposa comme langue dominante des manuels de savoir-vivre, sans aucun doute sous l’influence du rôle prépondérant joué par la cour française sur la scène européenne. La portée et la diffusion de ces œuvres sont corroborées par le grand nombre de traductions. Le Galateo de Della Casa parut par exemple en Angleterre sous le titre de The Refin’d Courtier en 1679. Rééditions et réimpressions furent également nombreuses, ainsi que les citations qu’en firent les auteurs des XVIIème et XVIIIème siècles.

Tandis que les manuels de savoir-vivre jouissaient d’un lectorat toujours plus grand, les livres de spiritualité perdaient peu à peu du terrain face aux genres émergents. Comme l’on pourrait s’y attendre, les guides spirituels étaient généralement écrits par des ecclésiastiques, tandis que les manuels de savoir-vivre se nourrissaient généralement de l'expertise des courtisans. Ne dérogeant pas à la tendance marquante de l’édition au XVIIème siècle, les livres spirituels furent de plus en plus publiés en langue vernaculaire. Alors que les ouvrages publiés en latin prédominaient en 1600, ils ne représentaient plus que 5 % du marché en 1800.

De la Noblesse
De la Noblesse

Torquato Tasso
Paris, 1633

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Les manuels religieux et de savoir-vivre constituaient une proportion non négligeable des ouvrages publiés aux XVIIème et XVIIIème siècles en Europe. Le lien entre ces deux catégories d’ouvrages a été considéré comme peu clair et problématique, en raison de leur proximité et des frontières ténues séparant idéaux religieux et vie laïque.

Les manuels de savoir-vivre et, après eux, les manuels d’étiquette à la réputation moins honorable, furent critiqués pour leur tendance à affaiblir le caractère au lieu de le corriger, plaçant ainsi le genre hors du champ des conseils ecclésiastiques moraux. Néanmoins, sans doute conscients de cette critique, les auteurs de manuels de savoir-vivre furent de plus en plus nombreux à arguer qu’un caractère respectable et franc ne se jugeait pas à sa seule capacité à « faire semblant ». La perception et la projection de la bonté étaient liées à l’intégrité du for intérieur ; l’harmonie et le calme apparents dépendaient entièrement de la pureté et de la sainteté intérieures.
A bien des égards, les manuels de savoir-vivre diffusèrent plus largement des discours religieux rajeunis, qui ne proposaient pas uniquement la paix intérieure, mais associaient celle-ci à un moyen « d’aller de l’avant » : des promesses humanistes classiques. L’accomplissement de bonnes actions, la foi en son prochain et la paix intérieure ponctuent sans cesse les discours relatifs à la noblesse, à l’honneur et au savoir-vivre. Cela suggère que, si les grands conflits de la Réforme et les guerres de religion se sont quelque peu apaisés en Europe, le débat crucial sur la question du salut acquis ou mérité s’est poursuivi sans relâche sous bien des formes.

A la lecture des textes suivants, on découvre le(s) univers du courtisan, du bourgeois et de l’érudit de l’Ancien Régime.

De la Noblesse
De la Noblesse

Torquato Tasso
Paris, 1633

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De la Noblesse

De la Noblesse de Torquato Tasso (1544-1595) est le plus ancien traité de savoir-vivre et de noblesse de la collection de la Bibliothèque patrimoniale.
Il parut tout d’abord sous le titre de Il forno overo della nobilita en 1580 et concurrençait alors les textes d’un prolifique groupe d’auteurs italiens soucieux du comportement et des manières.

Tasso était déjà un poète apprécié, très lié à la cour de Ferrare, principalement connu pour Jérusalem délivrée, publié l’année de ses 31 ans. Jusqu’au début du XIXème siècle, il jouit d’une solide réputation, en partie nourrie par l’hommage que lui rendit Goethe avec sa pièce éponyme Le Tasse (1780), puis Byron avec The Lament of Tasso (1817).

Comme de nombreux autres manuels de savoir-vivre, celui-ci recourt au procédé classique du dialogue, en l’occurrence entre Alcandre et Clidamant, qui examinent les valeurs de la cour et les qualités de la noblesse. Tout au long de l’ouvrage, les protagonistes de Tasso débattent de grandes et éternelles questions comme la nature de l’amour, la beauté ou ce que signifie véritablement la noblesse. Il assimile cette dernière à une vertu, insinuant de fait qu’un comportement noble constitue une forme de beauté.
Il semblerait que l’isolement dont il bénéficia pour écrire cet ouvrage ait d’une certaine manière influencé un ton qui se fait toujours plus philosophique. Il présente ses opinions comme étant autant celles d’un « philosophe » que d’un « courtisan ».

Le Courtisan désabusé ou Pensées d’un gentil-homme
Le Courtisan désabusé ou Pensées d’un gentil-homme

Charles de Bourdonné
Paris, 1658

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Le Courtisan désabusé

Cet exemplaire est la première édition d’un ouvrage qui remporta un vif succès. Il fut imprimé par Antoine Vitré, « imprimeur ordinaire du Roy, & du clergé de France » qui, dans sa préface, évoque « un livre qu’on peut appeler avec raison un ouvrage de bonne foy, puis qu’il est sans artifice, & qu’il part d’un homme sans science ».

Bourdonné dispense des conseils, dont certains très rebattus, comme celui que Polonius adressa à Hamlet : « Considérons-donc bien toutes ces choses, & travaillons tout de bon à acquérir la connoissance de nous-mêmes, puisque c’est la science des sciences & la plus importante de toutes. »
Le style est accessible et son ton plaisant, faisant de cet ouvrage l’un des plus faciles à lire de la collection, mais aussi du genre en général.
Bourdonné se fixe une mission familière : explorer et soupeser les qualités de l’homme, sa vertu, son savoir, sa patience et son humilité, entre autres choses. Comme de nombreux autres auteurs de cette collection, Bourdonné dispense des conseils sur tous les aspects de la vie, entremêlant des thèmes pratiques portant sur la nature de la noblesse, la sagesse du mariage, la cour, à des chapitres sur la pénitence, la mort, la vengeance, ainsi que l’inimitié et l’amitié.

Suite de la Civilité
Suite de la Civilité

Antoine de Courtin
Paris, 1675

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Suite de la Civilité

La Suite de la Civilité de Courtin constitue l’un des ouvrages les plus influents et les plus répandus du genre au XVIIème siècle.
Suite de la Civilité adopte un ton philosophique et n’aborde pas seulement les règles de bienséance. Les questions de la nature humaine, de la vengeance et de l’honneur préoccupaient également Courtin. Le bon sens de l’homme est considéré comme un bien sacré, égal en importance à la mortalité du corps, et le compromettre équivaut à un meurtre. Pour défendre les thèmes de ses écrits, Courtin ne manque pas de vigueur. Cependant, à maintes reprises, il se fait le chantre de la patience et du calme, considérant qu’au lieu de réagir violemment à ce que l’on prend pour des insultes, chacun devrait faire montre de tolérance à l’égard de ses ennemis (peut-être imaginaires). « C’est donc par où s’exprime la méprise, et cette énumération nous fait voir combien on se préoccupe, en prenant souvent de gaieté de cœur pour injure, des actions et des paroles qui ne sont nullement offençantes ny injurieuses ».
Cette injonction à l’humilité et à la retenue se retrouve dans nombre des ouvrages présentés. Le dilemme était de savoir s'il fallait promouvoir la paix dans des cours de plus en plus promptes à s’enflammer ou s’il fallait « tendre l’autre joue », pour mettre en pratique un véritable sentiment chrétien. Dans bien des cas, ces ouvrages remplissent à la fois les devoirs de la cour et les devoirs chrétiens, entraînant le lecteur sur des chemins qui parfois se confondent.

Conduites pour les Principales Actions de la Vie Chrestienne
Conduites pour les Principales Actions de la Vie Chrestienne

Saint-Jure
Paris, 1682

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Conduites pour les Principales Actions…

Jean-Baptiste Saint-Jure (1588-1657) était un père jésuite, auteur de nombreux ouvrages, dont De la connaissance et de l’amour du Fils de Dieu (1634), Méditation sur les plus grandes et les plus importantes vérités de la foi (1642) et le populaire La vie de M. de Renty (1651).
Saint-Jure entretenait des liens intrigants avec le pan mystique de la foi chrétienne. Il devint le « père spirituel » de Jeanne des Anges, mère supérieure à Loudon, qui accéda à la célébrité en 1634, lorsqu’elle et plusieurs religieuses se retrouvèrent « possédées par le démon ». Saint-Jure fut également le conseiller spirituel de Gaston Jean-Baptiste de Renty, dont il immortalisa les bienfaits dans le livre qu'il consacra à l'aristocrate.

L’exemplaire détenu par la Bibliothèque patrimoniale est une réimpression posthume réalisée par Charles Angot, rue Saint Jacques, en 1682.
Dans une réimpression de l’ouvrage de 1714, l’auteur est introduit en ces termes : « Les Ouvrages de R.P. Saint-Jure (….) sont entre les mains de toutes les Personnes pieuses, qui pardonnant au style suranné en faveur de la solidité & de l’onction qui s’y trouvent, en font encore le sujet de leur lecture ordinaire ».

Les caractères de l’homme sans passions
Les caractères de l’homme sans passions

Antoine Le Grand
Paris, 1682

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Les caractères de l’homme sans passions

Cet ouvrage d’Antoine Le Grand n’avait jusque-là pu être identifié dans la collection de la Bibliothèque patrimoniale. A en juger par la mise en page et le nombre de pages manquantes, il s’agit très probablement de l’édition publiée par J. Le Gras à Paris en 1682.
L’ouvrage de Le Grand parut tout d’abord sous le titre Le sage des Stoiques, ou l’homme sans passions. Selon des sentimens de Seneque, à La Haye en 1662. Il fut publié l’année suivante à Paris, anonymement, sous le titre Les caractères de l’homme sans passions, selon les sentiments de Senèque. Son succès se propagea peu à peu en Europe. Il fut publié une nouvelle fois à Lyon en 1665 et traduit en anglais en 1675 sous le titre de Man without passion, or, The wise stoick, according to the sentiment of Seneca, preuve du succès croissant remporté par ce genre d’ouvrages en Europe.

L’ouvrage de Le Grand est un intéressant mélange de savoir-vivre et de spiritualité, dans un paysage philosophique soumis à d’incontestables changements. Quoique précédant ses années « cartésiennes », cet ouvrage indique que, pour bien des penseurs et écrivains de l’époque, rédiger un texte sur le conflit intérieur de l’homme et ses tentatives de réconciliation avec la société constituait un vibrant sujet de publication. Ces ouvrages n’étaient nullement bizarres ou affectés, ils abordaient la question très sérieuse du « comment vivre ».

Instructions pour un jeune seigneur
Instructions pour un jeune seigneur

Joachim de La Chétardie
Paris, 1682

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Instructions pour un jeune seigneur

Joachim de La Chétardie (1636-1714) écrivit une multitude d’articles en français et en latin, dont beaucoup avant de prendre ses fonctions de curé de Saint-Sulpice en 1696. Chose étonnante pour un auteur français, La Chétardie écrivit un pendant à son Jeune seigneur intitulé Instruction pour une jeune princesse, ou L’Idée d’une honnête femme, qui fut également édité par T. Girard en 1684, soit deux ans après le premier volume. Les deux ouvrages eurent du succès et furent réimprimés à plusieurs reprises.
Plusieurs aspects de l’ouvrage présenté ici sont évocateurs du monde des jeunes hommes auxquels il s’adresse. Entre autres, les mises en garde prodiguées à l’égard de la raillerie rappellent que ce que certains voient comme une plaisanterie légère peut se révéler source de vexation pour leur victime.
Cependant, pour dédouaner les plus enclins à la raillerie, l’auteur la compare à un « combat d’esprit ». Il revient ainsi à plusieurs occasions sur le sujet de l’ « esprit », alors très en vogue : « La vie d’un Courtisan doit être une continuelle étude de souplesse d’esprit ».

L’Ame intérieure, ou conduite spirituelle dans les voies de Dieu
L’Ame intérieure, ou conduite spirituelle dans les voies de Dieu

Barthélémy Baudrand
Lyon, 1787

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L’Ame intérieure

Barthélémy Baudrand (1702-1787) fut l’un des auteurs de traités spirituels les plus lus des XVIIIème et XIXème siècles. Dans une série d’ouvrages dont les titres font écho à celui-ci, Baudrand mêlait la piété des Jésuites et la dévotion populaire.
Suite à la suppression de son ordre, Baudrand se retira à Lyon et continua à publier sous couvert d’anonymat. Ses ouvrages les plus connus sont L’Ame élevée à Dieu, L’Ame sanctifiée par la perfection de toutes les actions de la vie et L’Ame sur le Calvaire. La Bibliothèque patrimoniale détient plusieurs de ces titres.

L’œuvre de Baudrand a été écrite d’un point de vue religieux plus que laïque. Il est toutefois difficile de distinguer certaines de ses doctrines centrales de celles fréquemment développées dans les manuels de savoir-vivre du XVIIème siècle. Il défend tout particulièrement la nécessité de reconnaître la place de Dieu sur terre et la nécessité d’obéir à la loi divine.
Baudrand développe un discours sur la vie intérieure et la paix que chacun doit trouver en soi, avant d’exposer un procédé populaire, rencontré dans plusieurs de ses livres : un programme quotidien de prière prévu pour chaque jour du mois. Les thèmes de l’altruisme, du devoir de bonne action, de la pratique régulière des sacrements, des récompenses prévisibles de la paix intérieure, d’une relation spéciale à Dieu et l’attente d’une forme de vie paradisiaque après la mort en composent le noyau.

Portrait d'un jeune homme au livre
Portrait d'un jeune homme au livre

Bronzino, vers 1530
The Metropolitan Museum of Art, New York

(Creative commons)

Manuel du vrai sage ou recherches sur le bonheur de l’homme et sur ses devoirs
Manuel du vrai sage ou recherches sur le bonheur de l’homme et sur ses devoirs

Martin-Pierre Crussaire
Paris, 1803

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Manuel du vrai sage

Cet ouvrage est écrit dans un style simple et accessible (malgré la formation juridique de son auteur). Il comprend des débats sur la nature du bonheur, le devoir de l’homme et un mélange intéressant de penseurs allant de Rousseau à Saint Augustin.
Toutefois, bien qu'ayant commencé en empruntant aux Lumières, Crussaire s’oriente bientôt vers les penseurs religieux et au fil du livre, le texte prend des accents de plus en plus religieux, tant sur le fond que sur la forme. Crussaire donne l’image d’un homme déchiré entre l’héritage des Lumières et la résurgence de la dévotion religieuse dans le sillage de la Révolution.
Ses vues sur le bonheur de l’homme n’ont rien d’étonnant, vu son inspiration. Divers obstacles se dressent entre l’homme et le bonheur, au premier rang desquels l’avarice ; Crussaire attire l’attention sur le fait que l’homme, une fois qu'il possède des biens, en retire moins de plaisir que leur protection ne lui cause de soucis. Il fait remarquer que l’homme peut être gouverné par ses désirs et que la raison et la passion sont en constant désaccord.
L’élément « romantique » est très présent dans cet ouvrage, dont le troisième chapitre indique un détachement vis-à-vis de l’usage de la raison : « Le bonheur de l’homme ne peut pas être le fruit de sa raison ».

On the Behaviour of Priests towards Women
On the Behaviour of Priests towards Women

A Father of the Society of Jesus

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On the Behaviour of Priests towards Women
On the Behaviour of Priests towards Women

A Father of the Society of Jesus

On the Behaviour of Priests...

Ce pamphlet de douze pages constitue l’un des titres les plus curieux de la collection de la Bibliothèque patrimoniale. N’offrant aucune information sur le lieu de parution, la date ou l’auteur, l’histoire de ce livret repose sur des hypothèses.

Aucune autre référence de cette publication n’a pu être trouvée en bibliothèque. La seule référence concrète à ce livret a été trouvée dans le catalogue de Kirby, qui répertorie les archives du Collège des Irlandais de Rome, et plus particulièrement la correspondance personnelle du recteur Tomás Kirby.

Le 28 mai 1891, Kirby reçut une lettre du révérend Robert Whitty, accompagnée de deux exemplaires de On the Behaviour of Priests towards Women (Du comportement des prêtres à l’égard des femmes) – sujet délicat et difficile. La lettre n’indique cependant pas si son auteur est également celui du livre. Le révérend Robert Whitty s’était tardivement converti à la Compagnie de Jésus, dont il était un membre actif, organisant des retraites ecclésiastiques durant les dernières années de sa vie. Originaire de Pouldarrig dans le comté de Wexford, il voyagea beaucoup et le cachet de la lettre en question provient de Fiesole, en Italie.

Au cours de la même année, le Collège des Irlandais de Paris accueillit le révérend Martin Whitty CM qui y enseigna la théologie morale. Il occupa ce poste jusqu’en 1893, année où il prit sa retraite pour des raisons de santé en dépit de son jeune âge. Les liens ténus unissant Robert Whitty et Martin Whitty ne sont toujours pas avérés à ce jour, même s’il est possible que Martin ait invité Robert à organiser une retraite ecclésiastique durant son bref passage au poste de professeur.

L’auteur fixe de modestes objectifs à ce petit pamphlet au titre pourtant ambitieux. Il le qualifie de « sujet d’ordre pratique », surtout pour les jeunes ecclésiastiques sur le point d’entamer leur carrière dans l’Église. L'auteur prétend que le « sujet est par trop vivant (…) mouvant et changeant pour se laisser enfermer dans les stéréotypes des pages écrites d’une dissertation », mais il s’y attèle néanmoins de son mieux. Ce court texte s’appuie sur les enseignements de Saint Augustin, Thomas a Kempis et Saint François d’Assise. « La nature humaine reste en fait immuable et les principes posés par les saints restent immuables ». On note une absence totale de conseils tirés de l’expérience. Tout se résume en fait à une phrase unique tirée de l’Imitation : « N’ayez de familiarité avec aucune femme ».

Ce pamphlet est une « curiosité » rare, dont il n’existe qu’un seul autre exemplaire connu en Europe, au Collège des Irlandais de Rome.

Conclusion

Trois grands thèmes caractérisent les ouvrages de savoir-vivre, de spiritualité et de conduite : le véritable honnête homme ; la quête de paix intérieure et d’harmonie avec le monde extérieur ; et la représentation insaisissable, en perpétuelle évolution, du bonheur. Cependant, pris séparément, leurs définitions échappent aux catégorisations hâtives et transcendent non seulement l’histoire des comportements et des manières, mais également les domaines beaucoup plus complexes du bonheur personnel, de l’accomplissement de soi et de la réflexion. Ce qu’offrent ces ouvrages n’est pas un simple échantillon de pensées individuelles sur ces questions d’ordre personnel, mais aussi le reflet des positions institutionnelles, qu’il s’agisse de la cour ou de l’Église, sur les questions de conduite sociale et de conscience morale.

Les questions du salut, de la vertu, de la place de l’homme dans la société et du but de l’existence préoccupaient toutes sortes d’auteurs et constituaient des pistes de réflexion populaires aux XVIème et XVIIème siècles. Des ouvrages peu connus présentés dans cette exposition aux célèbres essais de Michel de Montaigne, les auteurs s’auto-examinaient et étudiaient toujours plus intensément la manière dont le « moi » se projette sur le monde extérieur. Les certitudes attachées à la pratique religieuse et à ses récompenses avaient été ébranlées de manière irrévocable au XVIème siècle et, pour les auteurs de la fin du XVIème siècle et du début du XVIIème, cet ébranlement de la foi était notable dans les esprits, mais aussi sur les champs de bataille, à la cour et dans l’ensemble de la société.

 

Responsabilité scientifique : Dr Linda Kiernan
Centre for Early Modern History, School of Histories and Humanities, Trinity College Dublin
Chercheuse au St Patrick’s College, Dublin City University
Boursière du Centre Culturel Irlandais


Pour aller plus loin…

Érasme et l’art du geste : l’élaboration des règles de civilité à la Renaissance
Érasme et l’art du geste : l’élaboration des règles de civilité à la Renaissance

(source : Europa Moderna. Revue d'histoire et d'iconologie)

C’est en 1530 que le premier manuel de savoir-vivre, le De civilitate morum puerilium, est édité à Bâle, chez Froben. Rédigé par Érasme, ce petit livre s’adresse au jeune prince Henri de Bourgogne, son élève, mais il connaît immédiatement un succès de librairie fulgurant. Ce succès n’est pas le fruit du hasard car Érasme a écrit son texte en pensant certes au petit prince, mais aussi à tous les enfants moins bien nés et qui ont besoin, pour survivre en société, pour être respectés et même aimés, de connaître les règles de maintien et les leçons de conduite les plus usuelles.

Lire l'article
Montaigne, la foi, la fidélité et la confiance (source : Un été avec Montaigne, France Inter)